Depuis plus d’un mois maintenant, des centaines de milliers de fermiers assiègent la capitale indienne Delhi pour protester contre la réforme en cours du secteur agricole.
Estimés à au moins 250 000 personnes, ces paysans issus de plus de 30 syndicats du Pendjab, de l’Haryana, du Rajasthan et de diverses autres régions du pays, bravent le froid et bloquent huit points d’accès à la capitale. Ils protestent contre les trois lois, les désormais célèbres farm bills, adoptées en septembre dernier par le gouvernement Modi et qui viennent libéraliser le secteur agricole, remettant en cause les marchés régulés par l’Etat (les mandis), les prix minimums garantis de certaines denrées essentielles et ouvrant le secteur agricole aux grands acteurs privées.
Deux milliardaires indiens, Mukesh Ambani et Gautam Adani, les deux plus grands patrons de l’agroalimentaire dans le pays, proches du Premier Ministre Narendra Modi, sont dans le collimateur des manifestants[1].
Parmi les exigences des agriculteurs, la demande d’une session spéciale du Parlement pour abroger les farm bills, considérant qu’elles ont été adoptées sans les principaux acteurs concernés, les paysans indiens, pour faire la part belle aux grands acteurs de l’agroalimentaire au détriment de centaines de millions de petits paysans. Même si plusieurs réunions entre agriculteurs et négociateurs du gouvernement ont eu lieu, aucune avancée n’est encore en vue.
C’est dans ce contexte d‘impasse que le mouvement gandhien de défense des petits paysans sans terre Ekta Parishad[2], mené par son leader Rajagopal P.V, a décidé de lancer une marche ce 17 décembre de 1500 petits paysans sans terre, depuis Morena dans le Madhya Pradesh (la circonscription de l’actuel ministre de l’agriculture, Narendra Singh Tomar) jusqu’à Delhi, en solidarité avec les agriculteurs actuellement en grève.
Leur objectif, réclamer à travers une marche non-violente, dans la plus pure tradition du Mahatma Gandhi, que le gouvernement actuel de Narendra Modi accepte enfin de négocier en toute bonne foi avec les paysans en grève.
En route pour le départ de la marche, Rajagopal a déclaré ce jeudi : « Nous voulons qu’il y ait plus de paysans qui obtiennent des terres et deviennent agriculteurs, plutôt que des fermiers se retrouvent sans terre à cause de lois et de politiques anti-petits paysans. »
Pour le leader Gandhien, comme il l’a indiqué au magazine Frontline : « La courtoisie minimale devrait être de consulter les personnes dont la vie est affectée »[3].
Bien que ce chiffre de 1500 petits paysans sans terre puisse apparaître faible au regard des 250 000 paysans d’ores et déjà en grève aux portes de Delhi, cette action symbolique marque un tournant, Ekta Parishad s’étant fixé comme ligne jusqu’alors de toujours privilégier le dialogue plutôt que de s’opposer au gouvernement. Par cette marche, son soutien sans aucune équivoque aux paysans face à la surdité actuelle du gouvernement vient donc mettre ce dernier encore plus en difficulté. En effet, l’équipe de Narendra Modi aime beaucoup se targuer de l’image de Gandhi. Alors quand les héritiers directs du Mahatma se mettent en marche contre ses décisions, c’est un signe que l’actuel pouvoir indien fait fausse route.
Benjamin Joyeux
[1] Lire https://www.lemonde.fr/international/article/2020/12/09/deux-milliardaires-proches-du-pouvoir-designes-responsables-de-la-crise-agricole-en-inde_6062739_3210.html
[2] Avec d’autres autres mouvements, dont Samanvayon ka Samanvay, le Sarvodaya Samaj et le réseau international Jai Jagat.
[3] Lire https://frontline.thehindu.com/cover-story/farmers-protests-2020-interview-pv-rajagopal-ekta-parishad-on-how-modi-government-deals-with-movements-minimum-courtesy-should-be-to-consult-people-whose-lives-are-affected/article33320005.ece
Des nouvelles de Jai Jagat : la grande marche Jai Jagat Delhi-Genève pour la justice et la paix, initiée notamment par Rajagopal et une partie de l’équipe d’Ekta Parishad, qui était partie de Delhi le 2 octobre 2019 destination Genève, a dû s’arrêter en Arménie en mars dernier à cause de la pandémie de Covid 19. Ekta Parishad a alors consacré ces derniers mois à subvenir, dans les nombreux Etats indiens dans lesquels l’organisation est bien implantée, aux besoins vitaux de milliers de travailleurs migrants désormais sans ressources à cause des mesures de confinement. Parallèlement, les réseaux impliqués dans l’organisation de Jai Jagat, à Genève, à Lyon, à Bruxelles, à Birmingham, à Mexico et en maints endroits de la planète continuent de se mobiliser et d’organiser des actions autour de la non-violence, dans l’espoir de relancer une marche quand les circonstances le permettront et de solidifier un réseau jusqu’en 2030.
Plus d’infos :
https://www.facebook.com/JaiJagat2020
https://www.facebook.com/LyonGeneve2020