En Inde, l’économie non-violente s’organise sur le terrain, loin des impérities gouvernementales

Par Claire Lhermitte, le 23 novembre 2020

Aussitôt rentrés d’Arménie en mars 2020 après l’arrêt de la grande marche Jai Jagat, les marcheurs indiens membres d’Ekta Parishad se sont tout de suite mis au travail pour faire face à la catastrophe économique qui, du jour au lendemain, a frappé l’Inde de plein fouet en raison des restrictions sanitaires imposées par le gouvernement fédéral pour faire face à l’épidémie de Covid 19.

Au départ, les activistes se préoccupent principalement des travailleurs migrants des grandes villes qui ont fini par rejoindre à pied leur campagne natale. Car ces derniers, en perdant l’emploi qui leur permettait de gagner de l’argent au quotidien pour pouvoir se nourrir, n’avaient dorénavant plus aucun moyen de subsistance.

Considérant que le gouvernement indien ne va pas dans le bon sens, Ekta Parishad se donne pour mission de développer la solidarité entre petits paysans locaux et travailleurs migrants pour produire et fournir de la nourriture par et pour tout le monde. Il s’agit également de prouver aux travailleurs migrants qu’il est possible de vivre à la campagne plutôt que de se précipiter en ville dès la fin du confinement.

Rajagopal (photo), fondateur d’Ekta Parishad, cultivait l’espoir que les dirigeants indiens tireraient des enseignements de la Covid 19, pour qu’un modèle gandhien puisse éventuellement émerger.

Rajagopal (Jai Jagat en Inde, nov. 2019)

Malheureusement, ces derniers accélèrent au contraire le rythme de travail pour soi-disant compenser les pertes économiques dues au confinement. Les travailleurs de l’économie informelle et les agriculteurs voient ainsi leurs droits amoindris voire totalement suspendus, et les lois de protection de l’environnement sont mises de côté au nom du nécessaire développement économique du pays.

De plus, dans un pays qui compte plus d’un million d’ONG, la pression augmente sur ces dernières : le contrôle des financements étrangers devient beaucoup plus strict, si bien que certaines grandes ONG internationales comme Greenpeace ou Christian Aid ne peuvent plus travailler et envisagent de quitter le pays. Il ne sera bientôt plus possible de recevoir des fonds que sur un compte unique dans une banque spécifique à Delhi, que le gouvernement contrôle totalement. Sans compter que l’organisme qui recevra de l’argent ne pourra plus le redistribuer à des organisations locales, pourtant bien souvent le seul moyen de financement dont ces dernières disposent. Le gouvernement indien entend ainsi contrôler et pouvoir museler les ONG actives et critiques sur les questions liées aux droits humains comme Ekta Parishad.

Il est donc devenu urgent pour toutes ces organisations de permettre aux gens à la base de ne pas être totalement dépendants du niveau international et de construire les bases de leur autonomie et souveraineté locales.

Pour ce faire, Ekta Parishad a mis en place un plan d’action sur 4 ans et en 4 étapes pour atteindre 4 objectifs, l’accès aux « 4 L » : land, labour, livelihood et legislation (« terre, emploi, moyen de subsistance et législation »).

La première phase qui se poursuit tout au long de 2021, consiste à établir des contacts et une mobilisation solide à travers toute l’Inde. Une série de rencontres dans l’Etat du Chhattisgarh et des réunions du comité national sont d’ores et déjà prévues.

Puis en 2022, la deuxième étape consistera à lancer tout un tas d’actions locales afin d’étendre plus largement le mouvement et avoir un poids au niveau national.

L’année suivante (2023), Ekta Parishad envisage une grande marche vers Delhi en provenance des quatre coins de l’Inde, pour réussir à influer sur l’action du gouvernement

Alors que les prochaines élections nationales se dérouleront en 2024, Ekta Parishad cherche ainsi non pas à créer un nouveau parti politique mais à influer sur ces dernières pour permettre un réel changement à la base pour améliorer le sort des populations les plus marginalisées.

Ekta Parishad approfondit également son action pour l’accès aux semences, aux céréales pour l’alimentation et aux banques d’entraide pour fournir un travail au plus grand nombre. Ces banques permettent aux agriculteurs d’échanger leur capacité de travail au profit d’actions d’intérêt collectif (« shramdan », don de travail) contre des céréales. En permettant ainsi le maintien des personnes sur place, l’objectif est également de prévenir les « migrations de détresse »

Toutes ces actions d’Ekta Parishad déjà réalisées en 2020 pendant la pandémie lui ont permis de se faire de nouveaux et nombreux alliés. En 121 jours, plus de 100 structures et 20 000 personnes ont été contactées, notamment au Chhattisgarh, en Odisha, ainsi que dans cinquante autres lieux en Inde. Sans compter que ces actions bénéficient avant tout aux plus pauvres d’entre les pauvres.

Grâce aux précédentes luttes emblématiques d’Ekta Parishad (2007, 2012…), les milliers de personnes qui avaient obtenu de l’aide et des terres ont à leur tour offert leur soutien aux plus démunis, bien au-delà de leur propre famille, démontrant que la solidarité n’était pas un vain mot.

Pour conclure, si la campagne Jai Jagat a dû interrompre sa marche, en Inde, Ekta Parishad montre la voie et continue d’œuvrer efficacement pour un monde dans lequel « personne ne reste au bord du chemin », tel que le prévoit également l’Agenda 2030 des Nations Unies et ses 17 Objectifs de développement durable.

À nous également d’agir concrètement là où nous sommes, afin de permettre à chacun de vivre dignement et de laisser aux générations futures une planète vivable.