A Genève dans les pas de Gandhi

Récit du séjour d’une semaine que le leader des sans terres indiens d’Ekta Parishad, Rajagopal, a effectué à Genève en novembre 2017 afin de préparer au mieux la future grande campagne, la Jai Jagat 2020:

Le symbole est fort: Genève, une des villes les plus riches et les plus chères du monde, accueillant le héraut des petits paysans sans terres indiens, parmi les plus pauvres de la planète. Rajagopal PV, surnommé le « nouveau Gandhi », leader et fondateur du mouvement indien Ekta Parishad, était de passage à Genève du 23 au 30 novembre 2017 pour promouvoir sa prochaine grande action, la Jai Jagat 2020. Grande marche pacifique partant de Delhi le 2 octobre 2019, celle-ci doit rejoindre Genève un an plus tard, le 21 septembre 2020, journée internationale de la paix, pour finir en un grand rassemblement populaire d’une semaine devant le siège de l’ONU à Genève afin de demander la mise en place d’un autre modèle de développement cessant d’exclure les plus démunis. On aurait pu croire que la ville du secret bancaire et des grandes fortunes de ce monde se montrerait réticente à voir débarquer sur les rives de son si cher lac Léman dans moins de trois ans des milliers d’activistes et de petits paysans indiens sans terres. Bien au contraire, Genève a accueilli à bras ouverts Rajagopal et lui a offert une semaine de rencontres et de soutiens extrêmement encourageants pour la suite.

Le séjour genevois du leader d’Ekta Parishad a bien commencé par un accueil chaleureux de l’ensemble des cents députés du Grand Conseil, parlement du canton de Genève, suivi d’un dîner avec quelques-uns d’entre eux. L’actuel Président du Grand Conseil, Eric Leyvraz, pourtant membre de l’UDC, parti nationaliste suisse pas franchement réputé pour son accueil amical des étrangers, s’est montré étonnament affable et enthousiaste et a même convié Rajagopal à venir visiter son vignoble si son agenda genevois le lui permettait. Comme le dit le leader d’Ekta Parishad: « La non-violence peut ouvrir bien des coeurs et bien des portes ». La preuve par l’exemple. D’ailleurs lors du dîner qui suit, une députée non inscrite mais issue elle aussi des rangs de l’UDC suggère une idée: demander à chaque habitant de Genève d’être prêt à accueillir chez lui pendant une semaine en 2020 un des marcheurs de la Jai Jagat. Dont acte.

Rajagopal accueilli par le Président du Grand Conseil Eric Leyvraz © Benjamin Joyeux
Rajagopal accueilli par le Président du Grand Conseil Eric Leyvraz © Benjamin Joyeux

Le Grand Conseil de Genève, comme la municipalité, deux institutions pourtant absolument pas de la même couleur politique, avaient en fait d’ores et déjà adopté à la quasi-unanimité des motions de soutien et d’accueil de la Jai Jagat, et cette première rencontre vient entériner humainement ces textes.

Ce premier rendez-vous extrêmement positif est suivi le lendemain, vendredi 24 novembre, d’une réception organisée par le Maire de Genève, Rémy Pagani, dans la magnifique Villa Lagrange. Au cours d’un splendide repas végétarien avec vue imprenable sur le Léman (là encore le symbole est fort, dû au contraste saisissant entre ce cadre somptueux et les conditions dans lesquelles vivent les populations qu’aide Ekta Parishad en Inde à longueur d’année), celui-ci confirme à Rajagopal non seulement le soutien officiel de la ville, mais également la mise à disposition des infrastructures nécessaires à l’arrivée de la marche tout comme l’ensemble des supports humains et financiers pouvant aider à sa réussite. Monsieur Pagani ne se montre pas seulement accueillant, mais extrêmement enthousiaste et motivé par cette action. En effet, quoi de mieux qu’une grande marche mondiale pour la paix accueillie comme il se doit par Genève, ville internationale de la paix (des grandes institutions internationales commes les Nations Unies, de la Croix Rouge, etc.)? Jill Carr-Harris, coordinatrice internationale d’Ekta Parishad, soumet notamment au maire de Genève l’idée que sa ville puisse également mettre en application les principes de non-violence au sein même de sa gouvernance. Il existe bien des études d’impact social ou environnemental à effectuer avant de prendre des décisions publiques comme de grands travaux d’aménagement (exemple local, le projet très controversé d’un pont sur le Léman), pourquoi pas des études d’impact conflictuel? Afin de pouvoir notamment calculer objectivement si tel ou tel projet augmente ou au contraire est susceptible de faire baisser le niveau de violence de la collectivité concernée? Idée à creuser.

Rémy Pagani (à droite) avec Rajagopal, Jill Carr-Harris et Daniel Wermus © Benjamin JoyeuxRémy Pagani (à droite) avec Rajagopal, Jill Carr-Harris et Daniel Wermus © Benjamin Joyeux

Au coeur du quartier des institutions internationales, c’est ensuite la Fondation Kofi Annan, de l’ancien Secrétaire Général des Nations Unies, qui accueille Rajagopal avec enthousiasme. Spécialisée dans la paix, le développement et les droits humains, celle-ci se montre également particulièrement ouverte et bienveillante à l’idée de cette grande marche pacifique de Delhi-Genève pour réclamer entre autre l’application concrète des17 objectifs de développement durable des Nations Unies.

Après les collectivités locales, Rajagopal commence donc à voir s’ouvrir une à une les portes des institutions internationales, ce qui sera confirmé les jours suivants lors de différentes rencontres avec des instances onusiennes, que ce soit la Maison internationale de l’environnement, l’UNITAR ou encore la CNUCED.

Mais à l’image des actions quotidiennes d’Ekta Parishad en Inde, qui maintient en permanence le dialogue avec les autorités locales et nationales d’un côté, tout en organisant à la base, dans les petits villages et les communautés, les paysans spoliés de leurs terres et de leurs ressources pour les inciter à s’organiser et à revendiquer leurs droits de l’autre côté, la Jai Jagat n’est pas qu’une histoire d’institutions, mais également et surtout de militants et de gens de la base. Et du côté de la société civile, l’accueil fut également excellent. Le samedi 25 novembre, tout au long de la journée, une soixantaine de militants venus de toute l’Europe ont planché à la Maison des associations de Genève sur l’organisation concrète de la Jai Jagat et des marches et actions parallèles à mener dans les trois années qui viennent. En Suisse bien entendu, mais également en Espagne, en Suède, en France, en Belgique, en Allemagne, en Angleterre, des groupes de soutien à Ekta Parishad, regroupés au sein d’Ekta Europe depuis plusieurs années, s’organisent pour prévoir des marches et des actions convergentes afin de faire de la Jai Jagat 2020 une immense action internationale d’une ampleur inédite, pour mettre en lumière les problématiques auxquelles nous sommes tous confrontés, pas seulement les petits paysans indiens. Réfugiés, crise climatique, explosion des inégalités, perte de la biodiversité, etc., les crises du 21e siècle, si elles frapperont d’abord les plus démunis (injustice supplémentaire car les derniers responsables deviennent les premières victimes), n’épargneront personne. Il ne s’agit donc pas de marcher en solidarité avec les populations indiennes marginalisées, mais de marcher également pour soi-même, pour en tant qu’Européen se réapproprier la possibilité d’un changement qu’on ne croit plus pouvoir déléguer à des représentants à force de reniements et de renoncements.

Cet enthousiasme de la société civile sera palpable le dimanche 26 novembre au soir, lors d’une rencontre publique organisée à l’Impact Hub, centre collaboratif très actif situé derrière la gare Cornavin, un des derniers grands lieux alternatifs de Genève. Une cinquantaine de Genevois s’y montrent prêts à s’investir dans la Jai Jagat après une excellente intervention de Rajagopal et la diffusion d’un documentaire sur la première grande marche organisée par Ekta Parishad en 2007, la Janadesh. Le lendemain, c’est lors d’un atelier au Centre de politique de sécurité de Genève, où Rajagopal a l’occasion de présenter les principes de non-violence, que le public se montre enthousiaste. Et le mardi 28 novembre, à l’Espace Solidaire Pâquis, église des Pâquis devenue un des principaux espaces de rencontre, d’aide et de formation des migrants à Genève, c’est devant un public de réfugiés que Rajagopal prend la parole avant de partager un repas. Car la Jai Jagat 2020 suivra également en Europe la route des réfugiés en solidarité avec ces autres exclus de la mondialisation.

Réunion d'Ekta Europe à la Maison des associations de Genève © Benjamin Joyeux
Réunion d’Ekta Europe à la Maison des associations de Genève © Benjamin Joyeux
Rajagopal à l'Espace Pâquis, avec les associatifs genevois © Benjamin Joyeux
Rajagopal à l’Espace Pâquis, avec les associatifs genevois © Benjamin Joyeux

Institutions et société civile prêtes à accueillir la Jai Jagat à bras ouverts? Ne manquaient plus que les médias pour faire de cette visite un succès complet, ce qui sera comblé le lundi 27 novembre avec deux entretiens aux Temps et à la Tribune de Genève, qui entraîneront deux articles publiés dès le lendemain, suivis d’une conférence de presse au club de la presse de Genève, où Rajagopal aura notamment l’occasion d’y croiserIsabelle Durant, ancienne eurodéputée Ecolo belge et vice-présidente du Parlement européen devenue numéro 2 de la CNUCED. Le hasard semble faire encore mieux les choses quand il est guidé par la non-violence. Rajagopal a également l’occasion de rencontrer ensuite Nathanël Coste, réalisateur de l’excellent film-documentaire En quête de sens, pour une interview.

Rajagopal et Isabelle Durant au club de la presse © Benjamin Joyeux
Rajagopal et Isabelle Durant au club de la presse © Benjamin Joyeux

Le séjour du leader d’Ekta Parishad s’achève le jeudi 30 novembre, par un nouveau rendez-vous institutionnel, une rencontre cordiale avec François Longchamp, le président du Conseil d’état du canton de Genève. Rajagopal peut alors prendre le train dans l’après-midi direction Paris avec le sentiment du devoir plus qu’accompli, Paris où à nouveau une réunion publique est organisée pour continuer à engranger des soutiens européens.

Rajagopal avec François Longchamp © Benjamin Joyeux
Rajagopal avec François Longchamp © Benjamin Joyeux

Institutions, médias et société civile de Genève ont donc accueilli avec enthousiasme tout au long de son séjour le principal porte-parole de la Jai Jagat 2020. La grande marche de Delhi à Genève pour « la victoire du monde », hier encore idée complètement folle, finit petit à petit par devenir possible, puis probable, et désormais, après cette semaine genevoise, certaine. Les centaines de milliers de petits paysans indiens aidés par Ekta Parishad seront sans aucun doute émus de savoir à quel point cette action est bien accueillie en Europe.

Cette belle histoire collective qui s’inscrit dans les pas de Gandhi s’égraine au fil des prénoms de toutes celles et ceux qui y croient dur comme fer, comme à Genève Liliane, Daniel, Yan, Yves, Ariane, Nicolas, Michel, Maggie et tous les autres. Merci à eux, merci à SOL et … Jai Jagat!